vendredi 11 juillet 2014

Sénèque, en vue des Bermudes

Jeudi 10 Juillet

Décidément je ne suis guère bavard. Êtes vous nombreux à attendre des nouvelles ? Nombreux peut être pas, mais bon, peut être quelques un, quelques unes ? Je me force, d'autant plus qu'à bord nouveau sujet d'inquiétude, la coupe du monde ça en est où ? Remarquez sans la France. Quoi ? Me dirait ma fille, et la Hollande ?
Revenons à nos moutons, pas très nombreux les moutons d'ailleurs. Nous arrivons à la hauteur des Bermudes, j'ai pris une météo, j'attendais des nouvelles aussi, à nouveau un mail vide, mais à priori aucune raison de s'arrêter. Pas de dangers dans la semaine à venir, la météo n'est pas exceptionnelle, mais rien de méchant ne s'annonce. Alors si nous voulons arriver un jour et profiter d'au moins une escale aux Açores, je continue, pas même de pit stop. Nous n'en avons pas besoin, plus de souci, le pilote roule, l'enrouleur déroule et le bateau déboule.
Déboule n'exagérons rien, ce n'est pas la tempête, en ce moment 10/12 nœuds de vents de sud Est, qui nous propulse à 6 nœuds et demi un peu au nord de la route. Nous pourrions quasiment la faire la route, mais au près serré, et je préfère remonter plus nord, passer au nord de la bulle qui gonfle devant nous, rester le plus possible dans le Gulf Stream. Les Açores sont loin, Punta Delgada à 1 950 milles, mais ce sera peut être Horta, on verra bien quand on y sera. Il faudra sans doute s'arrêter, ne serait ce que pour le gaz, nous n'avons qu'une bouteille et avec le retard pris, ça pourrait être un peu juste pour traverser.
Et sinon quoi d'autre ? Vous avez échappé à des titres tonitruants, du genre, Orages, Ô désespoir, de Grains en Grains, le désert des tartares. Depuis notre départ, une météo pas vraiment méchante, mais parfois, comment dire ? pénible ?
Tout d'abord la bonne nouvelle, je vous l'ai dit, tout fonctionne sur le bateau. Le pilote, j'étais un peu inquiet au départ des Bahamas, mais après quelques petits réglages, c'est bon, plutôt pas mal d'ailleurs, mieux qu'un Garmin par exemple (mais ça c'est pas difficile). Du coup, nous ne sommes plus obligé d'avoir quelqu'un en permanence à la barre et c'est tant mieux. Il fait encore bien chaud, trop chaud, je tourne à l'écrevisse, la bobologie du bord : complications cutanées, on va finir par manquer de bétadine et d'hexomedine, sans parler de vêtements propres, nous avions fait une lessive aux Bahamas, mais machine Bahaméenne et lessive cubaine ne semble pas faire bon ménage ...
Le bateau, il me fait encore un peu peur, je surveille particulièrement les voiles, la GV, un sac, un très vieux sac, nous réduisons plus rapidement que normalement, mais par contre malgré cette GV épouvantable, le génois maintenant trop petit et tout aussi difforme, ce bateau, un 471, pas mal. On sent qu'il a un sacré potentiel. Alors nous souffrons au portant dans le petit temps mais dès que les conditions s'améliorent, c'est partit. Hier, 172 milles, le vent, sauf sous les grains n'a pas dépassé 15 nœuds, pas mal.
Les grains tiens parlons en. Commençons par les orages. Avant hier, un orage, un seul en fait, mais dès comme ça je n'en avais jamais vu. Comment le décrire, est ce que Conrad y arriverait ? Sans doute, je vais avoir du mal. Un nuage, un seul, le ciel n'est plus qu'un énorme nuage, un gris de plomb, attention, pas un noir d'encre, gris. Le plomb se transforme en argent à chaque éclair. Éclairs énormes qui zèbrent le ciel, partant d'hauteurs inimaginables, foudroyant la mer, un tonnerre qui gronde pendant d'interminables secondes. Et ça dure, longtemps, trop longtemps. Je débranche toute l'électronique. On se dit : "ça y est on est passé", les éclairs sont maintenant à bâbord, mais non ça recommence, une nouvelle vague, comme sans doute une salve d'artillerie, à nouveau à tribord. Commencé en tout début d'après midi, ce n'est que vers minuit que nous verrons s'évanouir devant nous les derniers éclairs, illuminant la nuit de leurs sinistres zébrures (hum,hum). Heureusement, pas trop de vent, mais comment en être sur, donc toujours sur le qui vive, et puis la foudre, on a beau dire, moi ça m'impressionne toujours autant.
Le lendemain, ce sera un autre registre. Les grains, encore une fois, plutôt un grain, le grain. Encore un nuage, cette fois ci, même si il est énorme, il ne remplit pas tout le ciel ... Mais presque, et lui vire au noir d'encre. Comme un gigantesque tourbillon, il semble aspirer tout ce qu'il y a autour. D'incroyables variations de température, certainement plus de 10 degrés entre les montées d'air chaud et les descentes d'air froid. Au centre l'œil, le calme, autour des bourrasques imprévisibles (heureusement pas trop fortes), des murs de pluie. Deux heures à ce petit jeu, nous croyons en être sorti, et non, le vent bascule complètement, et le tourbillon nous revient dessus, à nouveau happé dans le chaudron. Alors, au final rien de méchant, mais ça recommence, 3 heures de plus, et moi quand je vois arriver ça, je ne suis pas vraiment fier, un peu péteux même. Certains, peut être vont m'expliquer que ... Que ? Qu'on ne risque rien ... Oui, peut être, c'est comme ça dans les bouquins, peut être, mais des grains comme ça, je n'en avais jamais vu ... Du coup, avec ce temps, je ne dort qu'à moitié bien et passer du temps dans l'étuve qu'est le bateau pour faire autre chose que dormir ... Donc désolé pour ceux qui attendaient des nouvelles, je vous ai fait attendre.
Et je vous rassure quand même, ce n'est pas toujours l'enfer, je vous l'ai dit ce bateau est plutôt sympa, la nuit dernière, une longue glissade, 12/15 nœuds de vent, au reaching, une mer parfaite, 8 nœuds sans bouger, je me réveille à 3 heure du matin pour prendre mon quart. Mais où je suis ? Au port ? Non, mais rien ne bougeait et dehors, presque la pleine lune, un peu de fraîcheur, Saturne, Mars, Venus éblouissante une heure plus tard et des myriades d'étoiles. La nuit qui commence s'annonce aussi agréable (je croise les doigts).
À oui, j'allais oublier, le désert des tartares, ça je vais être bref, il n'y a rien, la mer est vide. Il nous a fallu attendre jusqu'à ce soir pour voir nos premiers dauphins. Sinon, quelques déchets, des algues, rien, rien ne bouge et surtout rien ne mord. Avant d'arriver aux Bahamas, nous avions péché 3 petites daurades, quelque barracudas que nous avions rejetés (les Bahaméens m'ont confirmé "poisonous"). Depuis, un seul barracuda, rien d'autre. Du coup, tiens je vous laisse, Romain appelle : c'est prêt Capitaine : saucisses Bahaméennes. L'équipage tiens le choc et vous dit à bientôt, dès qu'il fait moins chaud, promis. Tout le monde embrasse tout le monde.

Sénèque, le 11/7, 01h15 TU 32°39.26 N 65°00.13 W à 1 939 NM de Punta Delgada.